L‘entrée dans ce pays attenant à la France s’est faite dans un froid aussi glacial qu’éprouvant ! Il est 10 heures et Guillaume, chez qui nous avons passé nos 3 derniers jours en France, nous dépose à l’entrée d’une autoroute « censée » nous diriger vers le Nord. Il nous dépose donc près de Sarrebruck, notre première ville Allemande.

« Censée ».

Après une accolade et des adieux, nous reprenons notre épopée près d’un feu rouge en direction de l’autoroute… Je me sens plein d’énergie, prêt à en découdre avec les bolides.

– Cette journée va être bonne, je le sens !

10 minutes. 30 minutes. 1 heure. 2 heures. Impossible de se faire prendre dans une voiture et pour cause : ce spot n’est absolument pas optimisé pour qu’une voiture puisse s’arrêter correctement, et les conducteurs préfèrent s’excuser avec un gros sourire plutôt que de prendre le risque de perturber le trafic. Je m’agace et fustige :

– Vous êtes sympas avec vos sourires, mais sinon, vous ne pourriez pas vous arrêter ?!

Après quelques minutes d’attente, nous décidons avec Sehriban qu’il est temps de marcher plus loin pour aller rencontrer mon vieil ami : La nourriture !

Nous apprenons à revaloriser l’importance des aliments pendant ce voyage. Sans nourriture, pas d’énergie, sans énergie, pas de motivation et sans motivation, pas d’autostop.

Un KFC attire notre attention à quelques pas de notre point de stop, nous nous y rendons, et allons directement toquer à la fenêtre du drive. Le préparateur nous regarde, éberlué :

– Bonjour Monsieur. Nous sommes deux voyageurs français et avons débuté un tour du monde à pied et en stop. Je sais que malheureusement vous jetez beaucoup d’aliments à la poubelle toute la journée…peut-être auriez-vous quelque chose que vous pourriez nous donner ?

L’employé nous observe et scrute notre attirail.

– Restez ici, je vais voir ce que je peux faire.

3 minutes plus tard, il revient avec un Bucket Géant rempli de frites. Ce n’est pas varié, mais c’est gratuit, ne sera pas jeté, et correspond aux valeurs freeganistes que j’aimerai mettre en avant pendant ce voyage. Nous essaierons pendant notre aventure de manger essentiellement de la nourriture de récupération, autant que possible.

Nota bene : Le freeganisme est un mode de vie alternatif qui consiste à consommer principalement ce qui est gratuit afin de dénoncer le gaspillage alimentaire et la pollution générée par les déchets. Cela consiste, entre autres, à se rendre dans les fins de marchés afin de récupérer des fruits et légumes, dans des supermarchés sur le point de jeter des denrées périssables, dans des restaurants, des fast foods, ou encore pour les plus téméraires dans les poubelles des supermarchés.

Chaque année en France, la quantité de déchets alimentaires s’élève à :

Dans la distribution (hyper et supermarchés, hard-discounts, épiceries et commerces de proximité) : 2, 3 millions de tonnes ;

Dans la restauration (collective et commerciale) : 1,6 million de tonnes ;

Dans les foyers : 5,2 millions de tonnes (soit 79 kg par personne) ;

Au total : 9 millions de tonnes (soit environ 137 kg par personne) si l’on additionne la distribution, la restauration et les foyers (sans compter les pertes liées à la production agricole ainsi qu’à la transformation et au conditionnement des produits dans les industries agroalimentaires).

Déjeuner dans le froid…

L’estomac rempli, nous décidons de demander directement à un homme remplissant sa voiture de carburant dans une station-service à quelques pas, s’il se dirige dans la même direction que nous. Ce dernier nous indique que non, et que nous ne sommes absolument pas au bon endroit pour nous rendre à Cologne en Allemagne, et qu’il nous faut traverser Sarrebruck pour nous rendre directement à l’entrée d’une autre autoroute.

Merci GUILLAUME ! (rire)

Soulagés après cette longue attente, nous levons de nouveau nos pouces, dans la bonne direction cette fois, avec un panneau indiquant « Richtung Köln », direction Cologne en allemand. 2 minutes à peine pour qu’un homme d’une cinquantaine d’années s’arrête : C’est parti, nous nous enfonçons en Allemagne. De station en station, nous enchaînons les voitures, toujours en direction de Cologne, dont une conduite par un Albanais qui nous affirmera dans une conversation sur les religions que les Français « jugent trop souvent les gens sur leur religion et que chez eux, en Albanie, les hommes et les femmes sont tous considérés égaux, quelles que soient leurs religions, que la planète entière n’est composée que d’une seule et même famille. Nous roulons jusqu’à ce que la nuit tombe après avoir parcouru plus d’une centaine de kilomètres, sans savoir que nous n’atteindrons pas notre but aujourd’hui.

Nous nous retrouvons bloqués par la nuit tombante sur une station-service, à 150 km de notre objectif. Fidèles à notre conviction de ne jamais faire d’auto-stop la nuit, nous décidons de chercher à manger, et après de bons sandwichs prêts à être jetés offerts par un des employés de la station, nous cherchons un endroit où poser notre tente dans une forêt voisine. Un petit feu pour nous réchauffer, nous passons une très bonne nuit au chaud dans nos sacs de couchage par -6 degrés et reprenons la route au petit matin.

Réveil dans la fraîcheur !

Nous rencontrons Xhavit, un Albanais du Kosovo et son amie qui acceptent de nous déposer à Cologne, bien que cela ne soit pas leur destination, en échange d’un morceau de guitare et de chant pendant le trajet.

Jouer de la guitare et chanter dans une voiture : Check.

Sur la route, il décide de nous inviter pour un petit déjeuner dans un McDonald’s (note : Nous n’aurons jamais autant mangé dans ces chaines de hamburgers que depuis notre départ (rire)) et nous dépose près de la cathédrale de Cologne, ville où nous passons la journée à arpenter les rues, jouant de la musique ici et là,  pour finalement rejoindre Lars, un couchsurfer fan de l’univers de Tolkien -point commun entre lui et moi- chez qui nous dormons le soir.

Nos bienfaiteurs Xhavit et son amie

Départ de Cologne au petit matin, nous nous rendons en périphérie de la ville pour récupérer l’autoroute où nous rencontrons un autre autostoppeur allemand qui nous indique le meilleur endroit pour faire du stop. S’engage alors un « duel » d’autostop pour savoir qui sera pris en premier…toujours accompagnés de notre carton indiquant la direction.

Direction Cologne !

Après 1h d’attente, nous sommes pris -avant notre confrère- et déposés à une station-service, ce qui nous permet de continuer sur plus de 200 kilomètres en direction de Nördlingen, notre technique consistant à accoster les automobilistes faisant le plein de carburant dans les stations services. Cela a plusieurs avantages, dont celui de créer un lien direct entre le conducteur et nous, de pouvoir nous écouter, comprendre notre projet, chose impossible quand l’on tend notre pouce et que les voitures passent à côté de nous sans prendre le temps de s’arrêter.

L’attente est parfois longue !

Dans le sud de l’Allemagne. Nous décidons de nous reposer et sortons de l’autoroute pour rencontrer Anne à Mannheim, qui nous logera chez elle le soir.

Mannheim. Une ville aussi déboussolante qu’inattendue. Il s’agit ni plus ni moins d’une ville composée en grande partie de Turcs. Nous marchons dans la ville avec Sehriban et sommes abasourdis d’entendre partout où nous marchons des gens discuter dans sa langue maternelle.

Mannheim, ville des turcs !

Nous rejoignons Anne le soir, qui nous fait faire le tour de la ville et nous en apprend un peu plus. Il s’agit d’une ville d’environs 300 000 habitants, avec beaucoup d’étudiants. Le centre historique de Mannheim suit une disposition en quadrillage, comme les villes romaines. Ce quadrillage a été créé à la demande du prince électeur Frederic IV. Les bâtiments sont limités en hauteur à 4 étages, afin que le château et les églises puissent dominer la ville. D’ailleurs, la ville rassemblée sur un disque, embrassée par les ailes du château, illustre le pouvoir du prince sur ses sujets.

La ville est surnommée « l’échiquier », car c’est la ville d’Allemagne dont la construction est la plus régulière. Le centre se divise en cent trente-six carrés bien nets et les pâtés de maisons se distinguent uniquement par des lettres et des numéros.

Ce quadrillage présente donc une particularité remarquable : les adresses sont données dans un système de chiffres et lettres. Il n’existe aucun nom de rues comme il est d’usage dans toutes les villes. Cette particularité semble être unique dans le monde. Ainsi on peut trouver comme adresse :

R1,7 68167 Mannheim

Mannheim, sur google map
Les mosquées côtoient les églises !

Après une belle promenade dans cette étrange ville, nous rentrons nous reposer et partons le matin pour rejoindre l’autoroute, en périphérie de la ville.

Horreur. Sehriban se rend compte qu’elle a perdu son matelas. Normalement correctement fixé au sac à dos, ce dernier s’est fait la malle…Nous pensons en commander un autre dans la prochaine ferme que nous devons rejoindre.

Après quelques minutes de marche, nous nous retrouvons complètement perdus dans ce qui semble être un terminus de Tram en périphérie de Mannheim, en pleine campagne. Nous marchons quelques kilomètres et rencontrons des ouvriers de la voirie qui acceptent de nous faire entrer sur l’autoroute pour rejoindre notre prochaine destination : Nördlingen, dans le sud de l’Allemagne, située à 3 heures en voiture…3 heures sur une autoroute française, mais en Allemagne, tout est différent, nous l’apprendrons plus tard.

Nous rencontrons deux Australiens, travaillant dans les mines d’or, en déplacement professionnel, qui acceptent de nous déposer…à Nördlingen, à l’exact opposé de leur destination, soit plus d’une centaine de kilomètres de leur lieu de rendez-vous. Quoi de plus normal pour eux, pour qui un pays 11 fois plus petit que le leur représente par la force des choses, de très courts trajets.

À bord de leur berline de location allemande, nous parcourons l’autoroute avec des pics de vitesse atteignant parfois les 200 km/h…autant dire que nous sommes arrivés très vite.

Nördlingen, un village perdu au milieu de la Bavière allemande… Pourquoi donc ce village ? J’avais déjà lu des choses sur cette petite bourgade, et l’improbable mystère qui entoure cette dernière a tout de suite su attiser ma curiosité : Il s’agit d’un village construit dans le cratère d’une météorite. La zone elle-même est un secteur géologique unique créé par la météorite il y a environ 15 millions d’années ! La ville forme un cercle parfait.

Nördlingen, vue d’en haut

Située dans le cœur de la zone de Ries, l’ancienne ville libre impériale de Nördlingen a gardé un aspect médiéval presque totalement préservé. Aujourd’hui, c’est une des trois villes d’Allemagne qui possède encore des remparts complets.

Les remparts contournent toute la ville !

La vieille ville historique est dominée par le Daniel, clocher gothique de 90 m de haut de l’ancienne église Saint-Georges. L’église elle-même est une des plus remarquables de ce type en Allemagne du Sud. Un veilleur – certainement le dernier – est encore en service vingt-quatre heures sur vingt-quatre au-dessus de la tour du Daniel.

Centre ville de Nördlingen

Le périmètre du mur d’enceinte est sensiblement celui de l’astéroïde qui a creusé l’astroblème du Nördlingen Ries. La ville et ses alentours comprennent environ 72 000 tonnes de diamants microscopiques issus de cet impact.

Des couleurs, des couleurs !

Après une longue promenade et un repas offert par une Pizzeria locale, nous devons nous rendre à Ehingen am Ries, (Ries = référence au cratère) situé à 15 kilomètres, où notre première ferme nous attend. Nous parcourons 10 kilomètres à pied le long des rails, et décidons de bivouaquer quand nous rencontrons un jeune homme en voiture qui nous propose de nous prêter un de ses terrains pour y poser notre tente.

Les rails nous mènent dans la bonne direction !

2 morceaux de pain de mie, ce sera notre repas du soir. Nous nous reposons et la nuit est particulièrement rude pour Sehriban, car l’absence de son matelas ne l’isole plus du froid du sol et l’empêche de dormir pendant toute la nuit.

Notre petit « ranch » privé pour la nuit !

Le matin, nous terminons notre marche et rejoignons la ferme où nous accueillent Peter, ses 4 enfants, sa femme Sandra et une autre voyageuse déjà sur place depuis 1 mois, Andrea. Nous y resterons une semaine.

Peter et sa famille ont une vie vraiment inspirante. Ils sont à 99% autosuffisants, et n’achètent que le sucre, le sel, le beurre, le cacao et le poivre. Ils disposent de quelques hectares de terrain composé d’arbres qu’ils coupent régulièrement pour le bois de chauffage, d’un potager et de pâtures pour les animaux. Une journée type dans leur ferme consiste à la traite des brebis le matin, le nettoyage de l’étable, le nourrissage des animaux, le coupage du bois, l’épandage de fumier, la plantation de légumes, la taille des arbres etc.

Le nettoyage de l’étable, pas terrible, mais nécessaire !

Leur vie est rythmée par la ferme et la météo. Ici, aucune énergie fossile n’est utilisée, et chaque conserve mangée, chaque kilogramme de farine est compté, leur nourriture c’est leur survie, et chaque détail à son importance.

Apprentissage de la pédicure équine…à l’ancienne !

Pour prendre une douche, il faut chauffer l’eau au feu de bois une heure avant, et dans la maison, comme dans l’ancien temps, chaque pièce est glacée, car non chauffée, sauf la pièce à vivre qui possède un rocket-stove constamment alimenté en bois pendant la journée à une température chaude et agréable. Si l’on a froid : on se couvre. Des petites habitudes que la mondialisation a su faire disparaître…

Non, il ne sera pas mangé !

Peter est limité par une polyarthrite rhumatoïde très invalidante pour travailler correctement à la ferme -ce qui ne l’empêche pas de travailler en forçant sur sa douleur- et notre aide est la bienvenue car il ne possède aucun tracteur et doit tout faire à la main ou avec l’aide de ses animaux.

Un cheval de trait Belge de 950 kg !

Leur alimentation est uniquement basée sur leur production. Ils mangent souvent la même chose, bien que cela soit diversifié à chaque repas. Par exemple, un repas type le midi est composé de pois bruns, riches en protéines, de potirons, de pommes de terre, de betteraves râpées, et de graines poêlées. Le matin, des flocons d’avoine avec du lait de brebis, et le soir, des tartines de pain accompagnées de diverses confitures.

Un exemple typique de repas dans une ferme autosuffisante

Une alimentation saine, faible en graisses, cuisinée par Sandra qui se donne beaucoup de mal pour faire tenir la ferme. Beaucoup de mal, c’est se lever à 6h du matin et travailler toute la journée, sans arrêt, jusqu’au soir à 22h et ceci, 7 jours par semaine, 365 jours par an. Ici pas de repos, la ferme et les animaux ne prennent pas de vacances. Leur rythme de vie est très inspirant, et si je devais y trouver quelque chose à redire, ce serait qu’il est terriblement dommage que cette ferme ne soit pas communautaire et ouverte. Ils vivent en famille, et sont deux à travailler pour leur autonomie, quand la charge de travail pourrait être considérablement divisée si le lieu était partagé avec d’autres personnes visant l’autosuffisance. Peter et sa femme semblent épuisés et semblent difficilement s’y retrouver. Les sourires se font rare car la fatigue est palpable.

L’expérience n’en aura pas moins été très enrichissante !

Nous reprenons la route à la fin de la semaine, quittant le village de Ehingen am Ries, pour continuer notre voyage.

Goodbye Ehingen !

Nous partons en direction du Pays de Mozart : L’Autriche !

L’Autriche, juste en face de nous !
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19 Comments

  1. Zacharski Reply

    Ce deuxième chapitre est aussi passionnant et enrichissant que le premier. Nous l attendions avec impatience et ne sommes pas déçus. Vivement la suite. Bonne route.

    • Terence Reply

      Merci de ton retour !
      A bientôt pour un prochain article !

  2.  »Les sourires se font rare car la fatigue est palpable »..beaucoup de tristesse à lire cela car dans cette démarche de vie il y a un fondamental tellement juste! Mais oui sans doute une ouverture plus communautaire permettrait une gestion moins rigoureuse. Peut être un jour?..Belle experience. Bon vent pour la suite

    • Terence Reply

      J’ai ouï-dire que Peter ne comptait pas mourir là-bas et changerait peut être de style de vie dans un futur plus ou moins proche…J’espère !

  3. Toujours aussi bien écrit. L’architecture et l’agencement des villes de Bavière sont toujours aussi magnifiques. Hâte de lire la suite.

  4. Passionnant récit, hâte de lire La suite, bravo faites attention à vous

  5. GuiSuperpomme Reply

    Super article. Je pars dans quelques semaines avec un projet semblable et après avoir tout laché de mon ancienne vie. Vous me rendez impatients avec vos histoires ; )

    • Terence Reply

      Salut Gui !
      Génial ce que tu prépares ! Au plaisir de se croiser sur la route 🙂

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