7h30, le réveil sonne dans l’appartement des parents de Sehriban. Ma main atteint directement le réveil dès le premier décibel, comme sur le qui-vive, prêt à partir. On se regarde, les yeux dans les yeux, sans dire un mot, mais en se comprenant : ça y est, c’est maintenant.

Nous commençons à faire nos sacs, y rangeant le matériel longuement acquis au cours de la dernière année, on essaie de s’organiser et d’optimiser la place, on défait, on refait.

France 3 doit arriver dans 2 heures, pour réaliser un reportage sur notre départ, on se presse pour être dans les temps, car nous devons être à 400km vers l’Est ce soir et rejoindre un ami…même pas encore partis, et déjà un emploi du temps serré !

On s’habille tout en regardant une dernière fois la chambre qui nous aura permis de nous reposer pendant plus d’un mois. France 3 arrive avant l’heure, et installent leur matériel pour observer notre départ. « – Faites comme si l’on n’était pas là ». Plus facile à dire qu’à faire. Nous prenons notre dernier petit-déjeuner compiégnois sous l’œil noir de la caméra, répondant aux questions d’un jeune journaliste.

« Comment avez-vous préparé ce voyage » ? « Votre équipement ? » « Des appréhensions » ? Moult questions qui s’enchaînent et auxquelles nous tentons de répondre, impatients de partir pour ma part et Sehriban angoissée de quitter ses repères.

10h, le point de non-retour. Les deux journalistes nous proposent de nous déposer à notre premier point d’auto-stop, nous acquiesçons volontiers, le principe du voyage étant de voyager sans dépenser d’argent. Après quelques plans pour le reportage et des adieux aussi difficiles que brefs, Sehriban et moi quittons le quartier à bord de la voiture de France 3, pour rejoindre la sortie de Compiègne, en direction de l’Est du Grand Est.

Il fait froid. Très froid. -4 degrés, mais surtout, un vent GLACIAL. Heureusement bien équipés, nous nous installons sur le bord de route, en direction de Reims. L’excitation est à son comble quand nous levons pour la première fois dans ce long voyage, nos deux pouces gantés.

L’aventure commence !

Une voiture. Deux voitures, puis trois, quatre…les carrosseries s’enchaînent, mais aucune ne s’arrête.

« – Haha, regarde-le celui ci, il doit se demander ce qu’on fait là, avec nos sacs à dos et notre allure ». Nous profitons de cet instant calme pour imaginer tout ce qui nous attend.

Une nouvelle voiture arrive au loin, nous tendons de nouveau nos pouces, bingo, la conductrice s’arrête et nous ouvre sa fenêtre. « Bonjour, Madame, nous commençons un tour du monde à pied et en stop avec ma femme, nous allons direction Reims ». Déception, la dame ne part pas dans cette direction et nous souhaite bon courage avec un magnifique sourire.

Deuxième arrêt : Rebelote, autre direction. Rien n’entame mon enthousiasme !

Troisième arrêt, après 10 minutes d’attente, cette fois ça y est. Aurélie. C’est le nom de cette jeune fille qui a accepté de nous prendre…pour nous déposer au rond point suivant, soit 500 mètres plus loin.

La situation semble risible, mais peu m’importe, Aurélie est la première, et elle le restera !

Nous continuons notre stop dans ce froid qui gifle nos visages et brûle nos mains. Nos pouces ne vont pas faire long feu à cette allure ! 3 minutes d’attente à peine pour trouver une gentille dame transportant ses deux enfants qui nous dépose à Cuise-la-motte, 15 kilomètres plus loin. Nous nous approchons de notre objectif : atteindre l’autoroute à Reims, direction la frontière allemande !

Et oui…nous y sommes !

A Cuise la motte, je décide de rassurer Sehriban pour qui un tel voyage représente de très bons côtés, mais aussi de grosses angoisses. Je rentre dans une boulangerie et demande à la boulangère si elle peut nous donner quelque chose à manger, lui présentant notre projet. Elle refuse poliment nous indiquant que ce n’est pas elle qui décide. Collé à cette boulangerie, une boucherie. Je rentre, et réitère ma demande. Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase, que le boucher nous donne 500 grammes de pâté de campagne. Magnifique. Ce pâté nous servira de monnaie d’échange, de nourriture ou de cadeau.

Nous nous installons près d’un feu rouge, ou nous écrivons sur une pancarte : Vers SOISSONS. Une minute suffit pour qu’une voiture s’arrête, et qu’une dame coiffée d’un béret vert nous invite à monter. « – Nous allons à Soissons avec mon fils ! Montez ! »

Annie et son fils Jean sont les premières personnes avec qui nous ayons vraiment commencé à échanger. Nous roulons en direction de Soissons et cette ex-enseignante en Maternelle et professeure d’Allemand écarquille les yeux quand elle apprend que nous nous rendons près de cette même frontière. Elle nous raconte son passé, et profite de ce moment éphémère pour se confier, nous parler de ses problèmes, de sa vie.

Jean quant à lui est passionné de l’univers du Comics, ce qui génère et engage de passionnantes conversations entre nous deux.

Arrivés à Soissons, Annie se gare sur le parking d’un Burger King et nous « ordonne » d’accepter son invitation à manger, par une phrase qui nous touche beaucoup : « -Si je vous laisse partir sans manger, je m’en voudrais terriblement ». Nous ne sommes pas dans le besoin, et pourtant Annie donne sans rien attendre en retour, c’est ça, le partage, le vrai.

Annie et son fils Jean

Après un bon repas, Annie nous dépose sur la voie qui roule vers Reims, et nous laisse sur la route, après une petite accolade et de tintants coups de klaxon.

De nouveau, une petite minute d’attente pour qu’un autre « Jean » nous fasse monter, pour nous rendre directement à Reims. Conducteur d’autocar, prendre des passagers est pour lui une habitude. Les prendre gratuitement peut-être moins !

Nous arrivons sur Reims et Jean nous dépose au niveau du péage qui part en direction de Metz. Problème de taille : PERSONNE ne prend la direction de Metz, préférant tourner direction Paris.

Après 30 minutes d’attente, de nombreux refus à cause de la direction, et le vent toujours plus fort, nous décidons de marcher sur l’intérieur d’un terre plein protégé par des barrières métalliques, le long de l’autoroute. L’objectif étant d’atteindre la prochaine station-service pour pouvoir facilement trouver des conducteurs.

Nous marchons plusieurs kilomètres dans le froid, quand une fourgonnette de la gendarmerie de Reims s’arrête à notre niveau. Le gendarme passager descend de la voiture, le regard froid et le torse gonflé.

La conversation s’engage entre nous. « – Bonjour monsieur ! »

« – Vous savez parler français ? » Nous répond-il d’un air étonné. « – Montez tout de suite, vous n’avez pas le droit d’être ici. C’est 30 euros d’amende immédiate ! »

« – Ah non, pas d’amende s’il vous plait, on commence à peine notre voyage ! »

« – Un voyage ? Comment ça ? »

Je lui explique notre voyage, et la situation se désamorce. Les deux gendarmes semblent intéressés par notre projet, nous rappellent qu’il est interdit de marcher le long de l’autoroute, pour finalement…nous encourager en nous indiquant qu’ils souhaitent nous pousser de 40 kilomètres plus loin et nous déposer dans une station-service.

Escortés par la gendarmerie !

Nous arrivons dans cette station ou nous décidons de nous reposer 5 minutes pour digérer un peu ces émotions. Deux hommes en train de boire un café en face de nous attirent notre attention. Je me lève et vais à leur rencontre pour leur demander s’ils peuvent nous pousser plus loin sur l’autoroute. Par chance, ils se rendent à Hambach, une ville située à 20 minutes du lieu ou habite notre ami Guillaume.

Voulant remercier nos conducteurs, je cours au Burger King de la station-service et présente notre projet. La caissière nous propose un café gratuitement, ainsi que deux paquets de frites.

Nous rejoignons notre voiture sur le parking et offrons les frites aux conducteurs qui ne se font pas prier pour les manger !

C’est parti direction Hambach !

Pour l’anecdote, Hambach est un village, et pourtant, c’est le seul lieu où sont produites les Smart, ces célèbres voitures de petite taille.

Il fait froid en lorraine. TRÈS froid.

Nous arrivons à 18h30 et partons nous réchauffer dans un bar. Nous sommes épuisés par le froid et le vent. Guillaume arrive pour nous chercher, et nous amène chez lui dans le magnifique petit village de Bettviller, à 4 kilomètres de la frontière allemande en Moselle, ou nous profitons ensemble pendant deux jours de nos derniers instants en France, deux jours où nous serons invités à manger chez les parents de Guillaume, où nous goûterons aux délicieux Dampfnüdel et visiterons le château de Falkenstein, aux fondations gargantuesques et à l’érosion naturelle fascinante.

Note : On apprendra pendant le repas avec les parents de Guillaume, que ces derniers étaient forcés à l’école de parler Français et non pas leur patois, le « Francique rhénan » sous peine d’être puni. Le maître ou la maîtresse donnait à chaque récréation une pièce à l’élève qu’il entendait parler Francique, et l’élève devait rapidement trouver un autre élève et le surprendre à parler Francique. A la fin de la récréation, l’élève qui était le dernier à avoir parlé Francique, et donc, à posséder la pièce, était puni lors de son retour en classe. Une méthode psychologique terriblement malsaine pour les forcer à oublier leur patois, leur patrimoine.

Les murs du château de Falkenstein ou « le pouvoir du temps ».

Un petit tour dans le Pays de Bitche nous permettra, après quelques sourires à cause du nom, d’apercevoir la beauté des paysages lorrains.

Nous partons à présent en direction de l’Allemagne, et abandonnons notre Pays pour quelque temps. À bientôt, France !

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34 Comments

  1. Un plaisir de lire ce premier article ! Baci de Venezia (ici aussi vent glaciale)

  2. Merci à tout les deux de nous faire partager tout ça, courage et belle route

  3. Emilie Paulet Reply

    C’est vraiment bien écrit et ça donne carrément envie de savoir la suite de vos aventures ! Bon voyage !

  4. Stephanie Reply

    C’est un plaisir de vous lire, à très bientôt et qui sais peut être nous croiserons nous un jour sur la route..

  5. Zacharski Reply

    Tellement bien écrit on a l impression d y etre. On a hâte de découvrir la suite on pressent que ce sera passionnant

  6. Super ce premier récit.J’ai hâte de lire la suite.Plein de courage et bonne continuation.

  7. Bonjour à vous je trouve votre projet tres positif en revanche je ne comprends pas que vous n’ayez pas prevu un budget nourriture….ca ne vous derange pas de quémander aux autres pendant 5 ans ??? Sachant que vous n’êtes pas dans le besoin…. Sinon bonne chance à vous et bonne route.

    • Terence Reply

      Coucou Flora !

      Nous avons prévu en effet un budget qui inclue la nourriture, mais il ne faut pas oublier que notre voyage est basé sur l’échange, le partage, et des valeurs autres que celles toujours basées sur l’argent. Je comprends qu’il est difficile de s’extirper de l’aspect pécunier quand l’on est en france, chez soi, mais en voyage, et encore plus en autostop, les invitations à manger sont très nombreuses, la plupart du temps sans rien attendre en retour. Nous acceptons et c’est une chose que nous avons toujours fait via le couchsurfing depuis des années : Recevoir des gens et partager.

      Il y a une différence notable entre quelqu’un qui quémande, entre quelqu’un qui se fait offrir de la nourriture, et, le plus souvent dans notre cas, en étant prêt à échanger cette nourriture contre un service que nous rendons. L’équilibre, est le maître mot dans les échanges.

      Belle journée à toi,

      Terence

  8. Bonjour, on s’est croisé vers Hyères, avec un ami on t’as pris en stop, là où tu nous a raconté votre projet à toi et ta femme. Je viens de lire ton premier article. Et j’adore, tu transmet très bien les émotions, et vos périples. Et les clins d’oeil concernant les personnes qui se sont arrêtés pour vous prendre en stop, je trouve ça top. J’me régale à vous suivres et vous lire ! Hâte de lire vos prochaines aventures !!!

    • Terence Reply

      Coucou !
      Je me souviens bien de vous deux ! Vous m’aviez sorti d’une longue attente sur l’entrée de l’autoroute !
      À bientôt !

  9. Salut Terence ! Tu es enfin parti, ça fait plaisir. Je te souhaite plein de bonheur et de réussite dans ce tour du monde, qui sera sans nul doute une expérience unique. Bon voyage !

    • Terence Reply

      Salut khoya !
      Merci beaucoup !
      À bientôt !

  10. Super premier article, vivement les suivants. J’aurais pas osé marcher sur l’autoroute Haha. Gros bisous à vous deux.

  11. Bravo et merci de partager votre expérience, vos échanges et vos émotions !
    Keep going on !

  12. GuiSuperpomme Reply

    Génial ! Je revis mes premiers instants d’autostop ; ) Je suis curieux de la suite de vos aventures.

  13. At the beginning, I was still puzzled. Since I read your article, I have been very impressed. It has provided a lot of innovative ideas for my thesis related to gate.io. Thank u. But I still have some doubts, can you help me? Thanks.

  14. I am a student of BAK College. The recent paper competition gave me a lot of headaches, and I checked a lot of information. Finally, after reading your article, it suddenly dawned on me that I can still have such an idea. grateful. But I still have some questions, hope you can help me.

  15. Reading your article helped me a lot and I agree with you. But I still have some doubts, can you clarify for me? I’ll keep an eye out for your answers.

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